jeudi, octobre 20, 2005

«Mexico est une ville qui attire et rejette à la fois. Il est très difficile d’y survivre, en même temps elle agit comme un aimant puissant» Fabrizio Mejia Madrid Hombre al agua







Au-dessus de l’immensité ardente d’une ville brasier… Mexico DF. Mégalopole latine d’Amérique du Nord. Scintillant de ses millions d’étoiles depuis le sol. Un monde à l’envers. Tous nos repères mis à l’épreuve. Entre ces montagnes, ces volcans… Le Paupocatéptl… Le plus haut sommet du Mexique, proche mais invisible d’une ville prise dans son brouillard artificiel. Une ville s’étale à l’infini...
Des géants obscurs, les monts, rongés par les afueras, se dressent. La ville ondule et lèche ses contours, ces barrières naturelles. Close, comme un espace théatral, comme une scène sur laquelle se jouerait la dramaturgie époustouflante de ces 22 ou 23 millions de chaînes de causalité… qui se croisent et se recroisent… Flux, dense et continu de voitures, de taxis-coccinelles VW, de microbus, battements des pas sur le pavé, millions de pas…
Il y a du monde partout. Des gens (oui des gens!) encore des gens… On finit par s'y habituer. Du trafic à n’en plus finir… Des taxis coccinelles vertes, encore et encore… Des microbus, les peseros (on les appelle ainsi parce que le voyage ne coutait qu'un peso)… ça double à gauche… à droite. Et s’il n’y a qu’une voie, on double sur la file de ceux qui viennent de face. Ils se retrouveront sur le bas côté en faisant cracher le klaxon… Tiens ! Un moteur qui fume… Lui a un autocollant sur le pare-brise, c’est pas grave, il voit quand même. Et puis l’autre roule sans vitre tout simplement, modestement… Ceux là, à l’arrière du pick-up sur l’autoroute… Banal.
A chaque station de métro ses vendeurs… Son marché souterrain. Et dans les rames, c’est un défilé… Vendeurs de disques qui entrent avec la sono à donf. Une mère et sa fille, typique d’ici, pas grandes, métissées, se mettent à remuer sur le rythme. C'est le pays de la música après tout. Il y a aussi, mais c’est plus rare, comme en France, des petits qui font la manche, et ça c’est badant. En tout cas, il faut donner un peu, quand on le sent...
«Les gens vivent avec cette idée que la ville est post-apocalyptique, mais dans les ruines de Mexico il y a la vitalité des gens. Derrière le foutoir apparent, Mexico est une ville bourrée de codes très sophistiqués, une ville que l’on peut déchiffrer même quand on ne sait pas lire [les lieux publics sont souvent indiqués par un idéogramme en plus du nom écrit]. Ici je ne me perds pas, à Berlin j’ai marché pendant deux heures sans rencontrer personne.» Fabrizio Mejia Madrid


Mais où vont-ils tout ces gens au fait? Et qui achète à ces vendeurs ambulants ? Des tapas, des DVD, des galettes, des fruits au piment, lampes de poche… Mangue, papaye… Et cireurs de chaussures. A chaque coin de rue. Aux feux rouges, des enfants font leur cirque sous la pluie du soir. Entre les échangeurs et avenues qui tranchent dans la chair grise du chao urbain. Tlalpan, Div. Del Norte, Revolución, Insurgentes…

¡ Bienvenidos !

Ici, malgré la foule, le bruit, la saleté, la lutte pour se déplacer en respectant les délais... La ville garde quelque chose de tranquille, qui invite au calme et fait qu'on ne se laisse pas prendre par le stress. C'est peut-être parce que l'on est étranger, et que cette distance intrasèque peut nous rendre impérméable. On se convaint peut-être inconsciemment de ne garder que l'agréable : La gentillesse des habitants, ces sourires que l'on reçoit et qu'il devient tant naturel de donner, leur approche de la fiesta, du temps qui passe doucement... Il n'est jamais trop tard pour prolonger la discussion (jamais trop tard non plus pour reprendre une cerveza...), et puis cette culture extraordinairement riche... Métissage de notre européanité, de ses racines, qui remontent depuis l’Empire d’Espagne, cette puissante influence Nord-américaine aussi… Mais surtout cet écho incessant de leur brillante civilisation.


Oui, dans ce chao urbain, d'une certaine façon, il fait bon vivre...

Dans la douceur de Mexico, 15°- 20° de moyenne à l’année, perchée à 2200 m d’altitude… Tenochtitlan était un lieu hostile il y a quelques siècles. Elle avait été offerte aux aztèques par les rois de ce coin d’Amérique Centrale. En échange des services de ces mercenaires (ils étaient connus pour être de bons combattants), les rois devenaient vassaux de ce peuple de guerriers. Qui conquérait et asservissait. En leur donnant ces marécages infestés de vipères et d’insectes… Milieu carrément hostile, les rois pensaient que ça les ferait fuir et, qu’ainsi, ils se débarrasseraient du système féodal. On voit sur la fresque ci-dessous à quoi pouvait ressembler la cuvette de Tenochtitlan.

Aujourd'hui... Ciudad Jardin. Un peu plus sec et un peu plus peuplé...



... Et c'est beaucoup moins vert, l'eau du robinet (je l'imagine) est obtenue à partir de ce qu'on appelle des canales de agua negra... J'en ai bien peur, la pollution risque d'avoir des effets à long terme sur les organismes. «La fin de Mexico a déjà commencé» , selon Homero Aridjis, fédérateur d’un groupement écologiste. À Mexico, lorsqu’ils peignent leur monde, les enfants dessinent un ciel noir. Ce n’est pas une prise de position politique : ils peignent tout simplement ce qu’ils voient. Et ce qu’ils voient, c’est un environnement où règne la pollution atmosphérique.


Il y a aussi cette violence qui transparaît à la Une des journaux… Des têtes explosées tous les matins…

C’est principalement une des conséquences de la rivalité qui déchire les réseaux de criminalité organisées (narcotrafiquants, gangs, trafic d’être humains, …). Depuis le début de l’année, cette guerre des cartels ne cesse pas, leur rivalité cause toujours la mort de je-ne-sais-combien de personnes.

Il y a aussi les enlèvements, très courant ici. On dit qu’il y en a toutes les 4 minutes dans le DF. Trois formes sont connues : rançon contre la cible (on vous appelle et une voix vous cite le nom de tous vos enfants, leurs écoles respectives, leurs horaires de sortie, "un d’entre eux ne rentre pas s’il n’y a pas autant de tune sur ce compte-ci", la séquestration expresse (moins de 24h) et la "longue durée"…

Bon à part mes colocs Brésiliens qui se sont fait braqués sous la menace d'un flingue, tout va bien. Des copines qui ont vu un serveur sauté de 4 m de haut pour échapper à une bande d'ados armés jusqu'aux dents lors d'un braquage de restaurant... Normal... Vraiment? Non! Sans plaisanter, il y a un gros problème d'insécurité, qu'une police corrompue ne peut endiguer. Alors, pour ceux qui n'ont pas de service de sécurité privé, on vit dans la Cité de Dieu. Je ne plaisante pas; "on est beaucoup dans un espace restreint". Et on en croise des gens. Que la Providence guide tes pas et te fasse croiser les bonnes personnes, Chilango, Chilanga. Amen.

Beaucoup... Je rencontre plein de monde. En plus de mon petit groupe de potes franco-mexicanos… Des français complètement déracinés ou qui restent exclusivement entre eux, il y a un peu de tout… Du gars qui se prend pour le Marquis de la Vega parce qu’il sort avec une mexicaine de-la-haute, au Lyonnais racaillou qui s’est fait tout chourer. Dans les fiestas, toujours entre cumbia, salsa et merengue. Quand ce n’est pas de la musique du cru, ou du reggaton. C’est tellement bon d’écouter ça à plein temps. De danser avec de jolies Latinas quasi tous les soirs. La langue, l’espagnol me plaît vraiment.

C’est le TEC. Une Université bien bonita, dans des bâtiments bien stylee. Bon niveau, enseignement axé sur la pratique, avec beaucoup d’exposés et de présentations...






Dans un pays 5 fois grand comme la France, la nature est bien différente selon l’endroit. A ce qu’il paraît, dans la fraîcheur toute relative du mois de décembre, des bonhommes de neiges redescendent sur le capot des voitures. Les pentes sont abruptes autour de la ville. Si elles sont autant de barrières pour que la pollution ne s’en échappe, quand on les franchit... Une chaleur moite signifie que l’on est redescendu de Tenochtitlan.

Au Sud de Mexico City, à Cuernavaca, une vallée toute verte et ensoleillée offrait son espace aux colons venus cultiver la terre, construire ces grandes et magnifiques haciendas ( aujourd’hui, beaucoup sont laissées à l’abandon). Comme celle de Cortez, ou de ces grandes familles, qui aujourd’hui encore, s’attachent à conserver ses intérêts, ceux acquis par les premiers arrivés.

Pour revenir briévement sur la Conquête de l'Empire Aztèque... Balfré, un pote mexicain, m’a dit que les colons avaient facilement balayés les élites aztèques qui exploitaient sans pitié les peuples d’Amérique Centrale. En conséquence, le peuple les soutenait. Mais ces nouveaux arrivés ont reproduit le schéma de domination. Les colons et les descendants des européens ont exploité, exploitent, et sont toujours vus, au travers des « arrangements » de l’Histoire (du moins dans l'imagination populaire) comme des Libérateurs.

Faut-il toujours vouloir retranscrire la pureté des faits au travers du discours historique ?
Mmmh?!? Tout à fait très cher!! ... Je pense que ce dernier doit les nuancer. On vit dans un autre paradigme après tout, on ne peut pas tout comprendre. C'est ridicule de payer des indemnisations aux enfants d'esclaves, le souvenir de ces années d'ignorance et de mauvaise foi doivent servir à construire un meilleur demain. Il faut donc parfois de l'arbitraire, car ces « arrangements » sont souvent effectués dans l’intérêt de la majorité. Faisons de l'histoire une mémoire sélective, qu'elle garde les blessures des hommes, mais qu'elles soient avant tout un outil de progrés. Oui, les colons néantisaient l'autre, l'autochtone, l'esclave. On en a pris conscience. il faut maintenant intégrer les exploités au système, pour en faire des acteurs oeuvrant à leur bien-être, à leur rayonnement culturel.

Et puis, en parlant d'authenticité, qui aimerait que le grito d'origine soit toujours d’actualité : ¡Mueran los Gachupines! ... Si on criait ces mots là tous les 15 Septembre, je crois que les européens ne serait plus trop les bienvenus dans les campagnes analphabètes... Cependant, ne pas l'oublier, c'est insister sur la responsabilité des nouveaux colons... Les expatriés des pays dits "développés".


C'est encore mon avis très personnel. Mais ce putain d’Etat Mexicain, reste un régime traître. Il est censé représenter le Peuple... Mais il n'est qu'une façade, une démocratie de forme, un vernis de grands idéaux, avec une Constitution en décalage avec le fonctionnement réel des Institutions. Enfin... C'est facile de critiquer. C'est un pays jeune, avec de gros problèmes... Qu'est ce qu'on fait quand en 1994, un baron de la drogue propose de payer la dette du pays (déclaré insolvable la même année) en échange de sa libération? Provocation ou foutage de gueule? ... En tout cas, ça veut dire qu'il y a du chemin... Politique, institutionnel, social... Ce que vous voulez.

Avec nos yeux d’Européens, on est plus facilement sensible à l’idéologie et à la puissante démagogie des gouvernants…


Ils rendent leur peuple fier à travers le football (il fallait voir la foire quand les moins de 17 ans ont été Champions du Monde de foot… Ridicule), et d’une publicité patriotique écœurante. Mais les inégalités sont intolérables, et ça on ne le dit pas.


D'accord, leur Indépendance, ils avaient tous intérêts à l’obtenir… Mais qui en avait le plus... Alors qu'on dit parfois que le Mexique appartient toujours à une dizaine de familles.

Cependant, ce conservatisme, selon la forme qu'il prend, a aussi quelque chose d’attirant. Parfois, le rapport entre les gens, entre les classes sociales me semblent être ceux de l’Europe du XIXème Siècle. Famille, respect, modèle patriarcal. Caholicisme.

Sur le plan économique, on peut se douter qu’un pays « émergents » comme celui là est un terrain fertile pour les bonnes idées de business, en opportunités commerciales, d’affaires ou entrepreneuriales...


Bien sûr, il y a énormément à faire ici, à Mexico. Les entreprises occidentales le savent bien… 15000 français votent à l’Ambassade de France à Polanco; c'est-à-dire, sont expatriés. Il y a certes des traits de pays en voie de développement...

  • Importance de l’économie informelle
  • Sous-emploi
  • Inégalités sociales et régionales
  • Insuffisance dans l’éducation et la santé
  • Analphabétisme
  • Emigration (20 millions de personnes d’origine mexicaine aux Etats-Unis)

Mais aussi des caractéristique de puissance de niveau mondial...

  • 10ème puisssance économique
  • 13ème puissance commerciale… et toute cette misère
  • PIB : 630 Mds USD en 2004
  • PIB / hab 2004 : 6 200 USD
  • Des groupes industriels puissants: Pemex, Cemex, Modelo, Vitro, Telmex, Televisa, Bimbo, Maseca...


Et quand on sait que c’est l'un des premiers marchés pour le commerce de jets. Et toute cette misère...

Tous cela, ces paradoxes, nous donne, à nous d’origine européenne, éduqués et cultivés, une liberté incroyable. Ces écarts nous laissent une chance pour nous placer, nous intégrer. Il y aurait certes de lourds inconvénients, mais des avantages indéniables semblent à portée si on souhaite habiter ici. Rien que leur rapport au temps donne l'avantage à un jeune diplomé européen sur le marché du travail ; le fait qu’ils soient rarement pressés. Si c'est génial de prendre une pause et de se sentir en vacances 5 minutes, c'est plus gênant sur le plan professionnel... Cela donne évidemment un avantage aux entrepreneurs étrangers qui savent respecter des délais.

Entreprendre. Habitués à cette rigidité bien française, à cette patience exigée en "gérontocratie"... On perçoit mieux les opportunités, les interstices vers la réussite, LE bon plan. Il semble qu'on peut en jouer, en tirer bénéfices.

En conclusion du 1/4 heure "business", c'est «Un pays capitaliste mais sans capitaux, un pays de travailleurs mais sans salariés, un pays de consommateurs mais sans pouvoir d’achat, où le secteur formel ne fournit pas de ressources suffisantes à la majorité de la population» - dixit le sociologue américain John Cross.

Bon, c'est bien tout ça... Parler philosophie de l'histoire, du passé, de politique et d'opportunités professionnelles. Et les vacances dans tout ça???

C'est vrai qu'il y a des plages de rêve au Mexique…

Côté Caraïbes, avec Cancun, Playa del Carmen, Campeche, la ville des pirates. C’est peut-être bien, mais je n’ai pas été de ce côté là. C’est loin et cher en fait. J’ai plutôt été sur le Pacifique, à Acapulco, pour le plus touristique. Mais aussi, plus longtemps, dans des lieux un peu plus déserts, hippies, surfeurs et teufeurs. Le pur bonheur.

Des plages de rêve. Mazunte, Zipolite… Puerto Escondido. Des vagues, du Soleil, il fait plus chaud dans l’eau quand il y a une petite pluie tropicale. C’est de la bomba-neurone. Buena onda... Et puis, el Estado de Oaxaca, c'est le coin pour les drogues, ongos de tout type - à consommer avec modération cependant. L'herbe, par contre, est douce et de bon effet. A la bonne heure !


Je sors avec Marie-Jeanne, euh non... Jenni... Qui étudie à la UNAM (Universitad Nacional Autonoma de México), c’est l’université la plus importante du Méxique. Les enseignants sont environ 25 000... ça laisse imaginer le nombre d'élèves. Elle, comme pas mal de Latinas, a un truc qui me plaît. Ce mélange de conservatisme et de comportement très chaleureux.


Je vous avoue, j’ai vraiment peur de me faire chier en rentrant en France. On fait la fête comme des frustrés chez nous. Tous les mecs sont en chasse, et les filles ont peur et cherchent en même temps. Ya de la réflexion, c’est compliqué les fêtes en France. Et la musique nous maintient tous à distance. C’est froid la house et tout ça… C’est pour qu’on ne se rencontre pas facilement. Et qu’on revienne en boîte pour trouver le prince ou la princesse. Un artifice. Un leurre, on paye du rêve, du vent. Merci Mr. Jack Daniels, Mr. Zyborowa. Ou Señore Martini.

Ici, on dirait qu'on sait déjà qu'il va falloir prendre son temps... Donc les rapports sont moins violents. Mais c'est pas pour ça qu'on se la raconte moins. Je l'affirme: Señorita Téquila est plus sympa. Et le Cuba, j’en parle pas. Pour moi, comme je suis un « chaud »(entendez par là que la house, ça m’enrhume)… C’est vraiment bon, ici. Pas de métrosexuel qui te toise comme s’il avait envie de toi, Hombre...

SALSA PIQUANTE. Ici, c’est débridé. Et c’est pas l’orgie en même temps, mais putain c’est bon. Les couples s’embrassent grave partout en boîte ; il en a non-stop. C’est le langage des corps, plutôt que le ballet des mots ou la danse des cartes bleues. Ils se collent dans la rue et le métro. Ça danse la salsa entre le repas et le dessert… Tout simplement. Sans se regarder. Tu n’en reviendrais pas comme les relations sont détentues.





«Oui, il y a une fierté de vivre à Mexico. On peut considérer le chaos sous plusieurs angles: le chaos de l’apocalypse, certes, mais aussi le chaos festif, qu’on traduit en espagnol par le mot relajo. Et quand je voyage à l’étranger, c’est ce type de chaos qui me manque vraiment. Je ne pourrais jamais vivre ailleurs.»


Fabrizio Mejia Madrid Hombre al agua - Editions Les Allusifs

Autre blog du même auteur:

reconquerirparledeveloppement.blogspot.com